Oui à la proportionnelle, maintenant

  • Erwan Balanant, député MODEM
  • Vincent Caure, député Ensemble Pour la République
  • Yan Chantrel, sénateur socialiste
  • Charles de Courson, député LIOT
  • Guillaume Duval, co-président du Club Maison Commune
  • Maud Gatel, secrétaire générale du MODEM
  • Guillaume Gouffier-Valente, député Ensemble Pour la République
  • Jérôme Guedj, député socialiste
  • Bernard Guetta, député européen Renew
  • Jérémie Iordanoff, député Les Ecologistes
  • Yannick Jadot, sénateur Les Écologistes
  • Eric Kerrouche, sénateur socialiste
  • Roland Lescure, député Ensemble Pour la République
  • Ludovic Mendes, député Ensemble Pour la République
  • Thierry Pech, directeur général de Terra Nova
  • Aurélien Rousseau, député Place Publique
  • Thierry Sother, député socialiste
  • Mélanie Vogel, sénatrice Les Ecologistes

François Bayrou a mis en chantier une réforme du mode de scrutin pour l’élection de l’Assemblée nationale afin d’adopter le scrutin proportionnel, comme le pratiquent déjà la plupart de nos voisins. Nous appartenons à des forces politiques différentes et divergeons souvent profondément au sujet de la politique menée par ailleurs par son gouvernement, mais nous approuvons ce projet. Nous sommes prêts à contribuer à le faire aboutir et nous appelons tous les démocrates à apporter leur concours à la réussite d’une telle réforme.

Depuis plusieurs décennies maintenant, le mode de scrutin majoritaire, censé apporter la stabilité au gouvernement de la France, a créé au contraire de l’instabilité. Il a permis à des courants politiques qui demeuraient en réalité minoritaires dans le pays de disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. De ce fait, les politiques menées par ces « majorités » successives ont suscité de fortes résistances qui ont mené quasi systématiquement à des alternances à l’issue de chaque législature. Depuis 1958, 27 premiers ministres et 45 gouvernements se sont succédés dans la France de la 5ème République. Avec la proportionnelle intégrale, nos voisins allemands ont connu dans la même période 11 chanceliers et 25 gouvernements, deux fois moins.

A chaque alternance, la nouvelle « majorité » a entendu défaire de toute urgence ce que la précédente avait décidé. Cela a suscité une instabilité des politiques publiques très dommageable à la fois au développement technologique et économique, à la solution des problèmes structurels du pays et aux mutations indispensables comme la transition écologique qui nécessitent au contraire des investissements matériels et immatériels de long terme et donc un environnement budgétaire, fiscal, législatif et réglementaire stable et prévisible.

Pendant longtemps, un des arguments majeurs utilisés par les défenseurs du scrutin majoritaire avait été aussi sa capacité à marginaliser l’extrême droite en ne lui accordant que très peu de sièges à l’Assemblée. Cela n’a cependant nullement empêché sa montée en puissance. Et aujourd’hui la menace principale pour l’avenir de notre démocratie est bien que l’extrême droite profite à son tour de ce mode de scrutin pour obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale bien qu’elle reste minoritaire dans le pays. Avec les institutions déséquilibrées de la cinquième République, elle risquerait fort de parvenir dans ce cas à faire basculer en quelques mois la France dans le camp des régimes autoritaires.
Depuis 2022, le mode de scrutin actuel n’arrive même plus à permettre de dégager une majorité à l’Assemblée nationale. Entraînant une instabilité gouvernementale comme on en a rarement connu en France, même sous la très décriée 4ème République : quatre gouvernements se sont ainsi succédés durant la seule année 2024… On observe également de ce fait une paralysie quasi-totale de l’action publique à un moment où pourtant le contexte géopolitique comme la crise écologique et la dégradation de la situation économique nécessiteraient au contraire des décisions fortes.

On objecte souvent aux tenants de la proportionnelle que le blocage actuel montrerait qu’un changement de mode de scrutin ne contribuerait pas à résoudre la crise politique française puisque la composition de l’Assemblée nationale, n’est pas très éloignée aujourd’hui du résultat qu’aurait donné un scrutin proportionnel. Soutenir un tel point de vue, c’est cependant ne pas comprendre l’impact majeur que continue d’avoir le scrutin majoritaire sur le comportement quotidien des députés et des forces politiques. Il bloque en effet toute perspective de compromis compte tenu de la nécessité de rester dans une logique de bloc contre bloc en vue du renouvellement futur de l’Assemblée.
Bref, non seulement le mode de scrutin majoritaire n’a jamais eu réellement les vertus qu’on lui a souvent prêtées, mais il est aujourd’hui à la fois un facteur de risque majeur pour l’avenir de notre démocratie en cas de victoire de l’extrême-droite et une cause de blocage empêchant de faire face à la profonde crise politique, sociale, économique et démocratique que traverse le pays.

Personne ne prétend, et surtout pas nous, qu’un changement de mode de scrutin permettrait à lui seul de régler cette crise, mais il pourrait y contribuer en obligeant tous les acteurs politiques à se remettre en cause. Il permettrait aussi à nos concitoyens de voter enfin pour leurs convictions et le programme politique qu’ils préfèrent et non plus seulement contre ceux qu’ils redoutent le plus comme les y oblige le plus souvent le scrutin majoritaire. Ce qui contribue à la profonde désaffection qu’on observe à l’égard de la politique. La proportionnelle renforcerait également le rôle du Parlement et permettrait une construction transparente de contrats de gouvernement.
Les temps sont mûrs pour une telle réforme de nos institutions. Celle-ci n’implique pas de modifier la Constitution, un processus toujours complexe et aléatoire. Elle nécessite seulement le vote d’une loi ordinaire au Parlement. La plupart des forces politiques se sont déjà exprimées en faveur du scrutin proportionnel. Il ne nous a pas échappé cependant que le diable se cache dans les détails et que de nombreuses modalités d‘organisation sont envisageables. La solution retenue doit être un véritable scrutin proportionnel qui permette une représentation fidèle de l’ensemble des forces politiques au sein de l’Assemblée nationale.

Nous avons la conviction qu’il est possible de rassembler les forces démocratiques et républicaines autour d’une telle réforme, urgente et indispensable à la fois pour répondre à la crise démocratique et pour limiter le risque que le pays ne bascule dans l’autoritarisme. Nous sommes prêts à y travailler dès maintenant.