lors que l’Europe s’efforce de sortir de sa dépendance au gaz russe, à Lützerath en Allemagne, des manifestants bloquent une mine de charbon avant d’être emmenés par la police — Greta Thunberg est dans leur rang. Au temps de l’écologie de guerre, l’intrication des crises rend de plus en plus difficile la construction d’une architecture de sécurité climatique et énergétique au service d’une transition juste. Une perspective signée Yannick Jadot.

Alors que l’hiver s’installe, nous ne devrons en France qu’à une consommation électrique réduite et un climat exceptionnellement doux de ne pas subir de coupures d’électricité. Ces risques de pénuries, écartés pour un temps mais menaçant chacun en droit — jusqu’aux écoles dont les élèves ont déjà été durement éprouvés — sont le pendant de notre négligence en fait de sobriété énergétique, et de notre retard à déployer les énergies renouvelables. Si cet hiver ne se passera peut-être pas dans le froid, nous ne pouvons baser une politique publique responsable sur la clémence fortuite du climat ; d’autant plus en cette période d’augmentation durable des prix de l’énergie, précarisant davantage les ménages les plus modestes.

Ces menaces de coupure ont de fait exacerbé le sentiment d’une perte de contrôle. Nos sociétés sont prises de vertige, percutées par les chocs climatiques et pandémiques, la guerre en Ukraine et son cortège d’atrocités, la répression meurtrière des femmes en Iran, en Afghanistan et ailleurs, l’explosion des prix alimentaires et l’avènement tumultueux d’un nouvel ordre mondial fondé sur l’accaparement des ressources, la concentration indécente des richesses et son corollaire, la fragmentation de nos sociétés et la montée des conflits entre régimes autoritaires et démocraties. 

Cette insécurité locale et globale, individuelle et collective, alimente de surcroît une crise identitaire dans laquelle s’engouffrent tous les extrêmes. Le présent angoisse, l’avenir tétanise, les nostalgies et les replis prolifèrent sur un passé fantasmé. Quand on a le vertige, la raison conseille de regarder en haut, d’avancer, la peur pousse à regarder en bas et le vide aspire.

Si cet hiver ne se passera peut-être pas dans le froid, nous ne pouvons baser une politique publique responsable sur la clémence fortuite du climat ; d’autant plus en cette période d’augmentation durable des prix de l’énergie, précarisant davantage les ménages les plus modestes.

Yannick Jadot

Nous l’avons collectivement compris  : les chocs climatiques et énergétiques qui nous percutent ne s’arrêteront pas demain. Faute d’anticipation, donc, après des décennies d’inaction et de procrastination, le coût social et économique de la crise écologique est devenu colossal. À défaut de réponses structurelles, la tempête ne débouchera pas sur une accalmie — elle se transformera en ouragan dévastateur.

Il ne s’agit donc plus de savoir « si » nous devons transformer en profondeur notre modèle énergétique, mais « quand » nous allons nous y mettre, pour le climat et pour la paix. Ensuite, comment faire pour que cette transformation soit socialement juste  ? Pour avoir une chance de succès, nous devons impérativement faire des plus fragiles d’entre nous les grands vainqueurs de la transition. Serons-nous donc capables de développer aux niveaux français et européen notre propre économie de la résilience climatique et de l’aménagement équilibré du territoire en créant les coalitions d’entrepreneurs, d’acteurs sociaux, de chercheurs et de citoyens pour la mettre en œuvre  ?

Force est de constater, tout d’abord, que nous ne sommes pas autonomes énergétiquement pour cet hiver ; en témoignent les remises à l’échelle européenne dont nous avons bénéficié. En retardant de quatre mois la sortie du nucléaire engagée en 2000, c’est la défaillance du nucléaire français que l’Allemagne pallie. Nous bénéficions donc de la décision du gouvernement allemand de maintenir en réserve ses trois derniers réacteurs nucléaires jusqu’en avril 2023, alors qu’ils devaient fermer fin 2022. Aucun risque de black-out électrique en Allemagne ne justifie cette décision. Il s’agit d’une contribution solidaire à la stabilisation du réseau électrique français et, partant, européen.

Voilà pour l’électricité. Mais les mesures prises pour le gaz cet hiver sont tout aussi précaires ; de fait, pour sortir précipitamment de notre dépendance au gaz russe, les Européens y substituent aujourd’hui du gaz naturel liquéfié. Or le prix de ce dernier sera structurellement et durablement plus élevé et surtout plus instable car il relève, non de contrats à long terme associés à des pipelines, mais, comme celui du pétrole, d’un marché mondial de court terme où l’économie chinoise et plus largement asiatique pèse lourdement. En 2022, nous avons « bénéficié » sur ce plan du fort ralentissement de l’économie chinoise associé à la politique stricte de « zéro Covid » de Xi Jinping. Il n’en sera pas forcément de même au cours des mois et des années qui viennent. Il nous faut donc sortir plus rapidement que prévu du gaz fossile en lui substituant, pour partie, du gaz vert. Le Danemark nous montre la voie qui, en cinq ans, a réussi à couvrir le quart de ses besoins en gaz à partir de biogaz1.